" Je suis la hargne, je suis celle qui te pète tes dents toutes neuves, qui t'explose le bras à la machette; je suis la colère sourde, la violence puissante, je suis la Connasse. Là, tout de suite j'ai envie de hurler, de crier, de me tuer aussi. La connasse quand elle a contracté une maladie dans sa tête rêve de se foutre en l'air ou de s'envoyer en l'air. Dans les deux cas, elle ne cherche pas tellement à vivre quelque chose d'exaltant, nan, elle n'a plus le temps pour ça. Elle rêve du chaos, elle rêve de voir tous ces gens avec elle crever dans un incendie. La connasse que je suis se voit se tailler les veines, se gaver d'anxiolytiques, se voit mettre fin à ses jours juste pour bien faire chier tout le monde et que les gens aient du remors, pensent à leurs conneries passées, leurs petits secrets débiles et leurs mensonges à deux balles qui valent à peine une taillade sur mes veines croûteuses et dégueulasses. Elle voudrait bien sinon la connasse détruire le couple qu'elle déteste. Elle voudrait bien tuer l'un et défoncer la boîte crânienne de l'autre avec une chaise, un tabouret, une bouteille de champ'. Elle voudrait bien que ces gens dans le bus arrêtent de parler, de rire, le monde entier lui en veut et elle en veut au monde entier. Ça tourne dans sa tête, la connasse se met à boire, à boire beaucoup et c'est là qu'elle voit les vérités, celles qu'elle n'aime pas voir. C'est là que je les vois, tout le monde se paie ta poire, ma pauvre. Les gens te haïssent et n'aiment que lorque tu leur rends menus services, n'importe lesquels. Tu leur sers juste à déverser, dans l'ordre d'importance : leurs peurs dans un vase communicant/leur haine envers Machin-Chouette en toute sécurité/leur manque de confiance dans tes veines/éventuellement leurs fluides corporels, quand ils y arrivent.
Quelques personnes sont protégées de la rage de la connasse en moi. Ma mère, ma soeur, mon frère, quelques amies. Tous les autres y ont droit, de l'ex un peu fuyant au gros con qui m'a brisé les genoux, et même en parlant de genoux jusque les haies qui m'empêchaient d'être bonne en sport, ces sales pouffiasses avec leurs grandes jambes élancées. La Connasse rêve de s'asseoir sur un trône qui serait fait des autres, tous les autres qui ont marché sur sa gueule avec ou sans ménagement. Les pires sont ceux qui tentent de la ménager – là, la connasse en moi devient sans pitié, rêve de leur rayer le pare-choc ou la figure, rêve de leur enfoncer des clous dans les orbites. Rêve de la violence hurlante dans la télé mais surtout dans son âme. Elle sent, elle sent au profond d'elle que ça boue sans jamais s'arrêter, qu'elle va se mettre à distribuer des pains à la volée dans la rue et y'a rien de bien chrétien là-dedans, elle va acheter un poing américain et va attendre ce moment où elle a l'air inoffensive pour péter des mâchoires, exploser des nez, faire une chirurgie plastique maison à ceux qui lui retourne la bile.
Moi quand je suis une Connasse, je suis une connasse du cœur. Je suis celle qui a été un animal blessé, mais qui se relève. Tu vois Bambi quand sa mère meurt tuée par le chasseur, hein, tu le vois très bien. Et ben, moi, je suis Bambi après dans ces cas-là, Bambi ze revanche. Bambi qui se sert de ses bois pour retourner l'automobile tel un superhéros et l'envoyer valser à des kilomètres – rien à foutre des passagers, Bambi s'en cogne, Bambi a été un peu trop floué pour s'en battre ne serait-ce qu'une seule couille; c'est dire le point auquel Bambi s'en bat les glandards. Non, Bambi est devenu mauvais, Bambi a la rage : vite, qu'on appelle les pompiers, les flics, les soigneurs du zoo de Vincennes et tout le reste. Connasse-Bambi a décidé que le monde allait en chier pour lui en avoir collé des kilos de bouse dans les dents. Sur la face, en fait, partout. Partout cette odeur de vache, de campagnarde, de bouseuse parce que la vie n'a pas eu envie de m'offrir le luxe de péter dans les coussins en soie.
La connasse chez certains et certaines, c'est cette force brute, l'envie de prendre une allumette et de foutre le feu, de rouler sur des passants quand plus rien ne va, de prendre une paire de ciseaux et de s'acharner jusqu'à ce qu'il ne reste que de la bouillie de la trachée de n'importe qui qui a aura juste eu la malchance de la croiser. Je suis comme ça, un ange qui rêve de tomber aux Enfers à force de pêcher, de penser à mal, un autre foutu, foutraque, un ange qui devrait pourir avec ses ailes boursoufflées sur le rebord de la route. Abandonné, il va se venger. Défoncer la jungle équatoriale à coup de quenottes, exploser les os, les chairs. D'une manière ou d'une autre, la connasse est aussi une sale pute lubrique qui voudrait recoudre son coeur blessé et se la jouer Frankenstein avec les morceaux de coeur des autres, à se la jouer indienne avec les scalps ou plutôt les palpitants de ses ennemis ; par ailleurs, les indiens bouffaient pour certains les coeurs de leurs ennemis. Je rêve de faire pareil quand je suis connasse, arracher des coeurs et les écraser, m'en faire un trône de fer dont personne ne pourra me délivrer et me dégager tout à la fois. La Connasse rêve de s'en faire une parrure, que le sang coule à flot sous ses pas comme pour témoigner des corps et des âmes qu'elle a brisé. Elle se voit comme ça, la Connasse, comme une reine impitoyable qui règne sur ses sujets fascinés et morts de peur tout à la fois, elle se voit comme une Cruella, comme une vilaine de film, qui caresse un chat et ricane en reposant sur une masse infâme des cadavres de ceux qu'elle a pété en petits morceaux sur son chemin – ceux qui ont osé se dire qu'ils allaient pouvoir la dresser. Personne ne peut tout à fait dresser une Connasse, et il y en a une dans les tripes de chacun d'entre nous, même les plus doux ; il n'y a guère que les agneaux pour ne pas avoir cette voix intérieure qui vous dit de détruire des vitres, rayer des voitures, redevenir le jaguar primordial et violent que vous êtes, dans le fond.
Et il veut hurler à la mort quand il voit comme on le bride tous les jours, ce jaguar.
La Connasse, c'est précisement le jaguar dont elle aime se parer, porter son motif comme dire qu'elle mord. Quitte à avoir l'air d'une pouf.
Elle est bien pire que ça. "
(extrait de La Séparation, disponible sur Amazon version papier et Kindle Ebook)