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Ingrid Raven, ''d'auteur inconnu''
14 octobre 2019

La chauve-souris

" Moi, je restai pétrifiée. J’aimais bien et j’aime toujours bien les chauves-souris, ces bêtes dont les femmes ont aussi peur que des rats. Qui ne voient rien, ne se situent que par leur ouïe, moi et elles on a un peu de ça en commun, je fais plus confiance à mes oreilles qu’à ma vue. Ces bêtes que les autres massacrent parce qu’elles ont un corps poilu et des grandes oreilles, des petits crochets pour s’attacher au monde et des envies de se lever la nuit. J’aurais pu appeler cet ouvrage « La chauve-souris », mais c’est mignon et moins lourd, dans mon cas mon trouble est trop lourd pour que je l’appelle juste comme ça, c’est beaucoup trop inoffensif et tendre, une chauve-souris.

Alors pourquoi la caillasser, la tabasser, pourquoi tuer cette pauvre bête ?

Je me rappelle comme si c’était hier d’être allé vers elle quand son petit corps chaud rendait ses derniers souffles, quand il avait fini. Je n’avais pas quitté mon poste, dans mon trou de terre, quand il avait attaqué. Je me rappelle avoir glissé ma main sous le petit corps poisseux, les poils doux tâché d’un sang horrible, avoir senti quelques pulsations mourir dans ma paume. Je me rappelle m’être levée avec le petit corps en offrande, les yeux humides et honteux d’être humides aussi, la peur que C. ne vienne me revoir, ne vienne me jeter des cailloux à moi aussi, la peur qu’on vienne m’arracher le petit corps mourant des mains pour le profaner.

Je me rappelle avoir pleuré pour nous deux en même temps, elle est moi on était pareilles, pas aimées des autres, moquées, on avait rien fait pour ça. Je vivais dans mon trou de terre et au creux des feuilles d’automne soufflées par les aérations du bâtiment. Elle vivait paisiblement derrière son tuyau, cachées. Et ce petit crétin avait été la chercher, lui avait retiré sa vie. Et ces petits idiots qui me bousculaient comme ils pouvaient jeter des cailloux aux chats noirs, comme ils pouvaient tuer une bête innocente, ces sales mioches refluant la morve qui se prenaient pour des dieux, qui ne comprenaient rien au néant qu’ils infligeaient à la petite créature timide qui n’avait rien demandé.

Ces connards feraient la même à moi et à mon ourson si on étaient pas dans une cour de récréation et que leur attention n’était pas aussi intense qu’elle est courte. Bande de sales petits cons cruels qui pavanez en gros poulains que vous êtes à encore téter vos juments.

Je me rappelle des rires qu’il y a eu tandis que je passai devant les autres, je m’en rappelle comme si c’était hier. Je me rappelle avoir posé son corps un peu plus loin, dans l’herbe haute. Je me rappelle m’être dit que je voudrais bien m’enterrer avec elle. L’ourson a posé une patte sur mon épaule et j’ai tout lâché : le petit corps meurtri, les larmes, tout est sorti de moi d’une traite. Sa petite tête fracassée par les autres me faisait miroir. Moi et mon ourson on se faisait fracasser tout pareil, par des rustres, des cuistres abrutis par la télé qui ne savaient pas lire, qui ne comprenaient pas la profondeur des choses, pour eux la mort c’est une blague, un tourment qu’on inflige comme on perd sa première dent de lait et puis c’est pas grave, ça n’arrive qu’aux autres, ça, la mort, ça ne tombe jamais sur vous, jamais sur votre famille, le cancer savent pas ce que c’est ces gosses-là rendus débiles par des émissions connes où on apprend à peine un mot d’anglais et pas foutus de le dire ces cons-là, un accent terrible, laid, un truc qui vous donne des frissons alors à quoi bon faire les rois du monde si t’es pas foutu de dire « hello » avec un h aspiré sale petit croûteux, sauf pour les Favier parce que eux c’est dans leur sang, eux c’est ceux qui ont le savoir de l’anglais et donc le savoir tout court, ces gens que je trouvais alors éclatants , pétillants de beauté et de force parce que leur mère venait de loin, des vertes contrées irlandaises où les gosses ne tuent pas les chauves-souris en les tabassant à coup de cailloux. Pas dans ma tête de gamine.

Aujourd’hui je sais que partout autant qu’ailleurs il y a de ces petits cons qui tabassent les chauves-souris et cherchent des noises aux apprentis oursiers. " 

( extrait de L'Ours, texte en cours d'écriture). 

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Commentaires
Ingrid Raven, ''d'auteur inconnu''
  • Hellow la blogo', ce petit blog sans prétentions est celui d'une auteure inconnue (ma tête passe encore le cadrage de porte) mais qui rêve les yeux grands ouverts, du jour où elle se sentira romancière pour de vrai.
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